Anne Calife nous livre ses écrits autour de son nouveau livre « Paul et le Chat »…
Souvent, souvent, dans l’idée que les mots, le langage sont des menteurs ; seules les sensations ou les perceptions peuvent prétendre à dire la vérité. Dans la plupart de mes textes, je m’attache à décrire les instants, les moments de la vie interne. Les chats, les animaux me passionnent. Les félins surtout. Ils incarnent la puissance de vie, la force de l’instant. À ma connaissance, le Chat demeure le seul animal dont toutes les émotions se lisent au travers de l’orientation des oreilles, pupilles et battements de queue. Paul et le Chat a été publié au Mercure de France en 2004. Puis réédité aux Éditions Menthol, quelques années plus tard. Ici, j’ai voulu un texte silencieux, dans lequel les personnages ne parlent pas, ne peuvent pas parler. Donc, il y a Paul, six mois et un Chat, ou plutôt une chatte, mais je préfère dire un chat, l’assignant ainsi à sa condition féline.
Ce chat dormait avec moi, toutes les nuits, je sentais mon souffle réverbéré sur son pelage chaud, et les antennules froides de ses moustaches.
« Un cri, une sorte de couinement m’arracha au rêve, j’avais pensé qu’il y avait des souris dans le lit. Le Chat roulait d’un côté puis d’un autre. Son ventre se durcissait, se détendait en flux douloureux, il appuyait ses pattes brûlantes contre mon ventre nu. Il accouchait. Là. Contre moi. Nue.
Submergé par la douleur, son regard flottait, voguait par-delà, le faisant presque loucher. Haletant, pupilles dilatées, le nez presque rouge à force d’être rose, le Chat leva la patte arrière en l’air. Et voilà qu’il léchait vigoureusement une petite chose molle, ridiculement flasque. Surtout qu’est ce qu’il ronronnait ! Un son de gorge puissant, un son de rage, de victoire. Il frottait ses joues à moi, tellement joyeux qu’il me mordillait les doigts, me grignotait l’intérieur du poignet. Comme il m’amenait ses mulots égorgés, il m’avait amené son chaton sous la couette. C’était une petite chose au nez en triangle rouge, aux yeux clos, le poil encore plaqué de liquides vivants.
La nuit s’accoudait massive, trapue contre la vitre ; il devait être deux, trois heures du matin. Je ne savais plus quoi faire. J’allumais, m’habillais. Le Mari eut un « groumpf » indigné, révolté de ce qu’elle pût accoucher, là, dans son lit. Un coup de rein le jeta contre le mur ; il se retourna et ronfla.
J’allais chercher dans la cuisine son panier en velours que je couvris d’une serviette éponge ; y plaçai le Chat, son chaton. Le Chat haletait mais ronronnait éperdument. Roses et noires, ses coussinets s’ouvraient, se fermaient comme des fleurs venimeuses. »
Dès le début, le chat attend des petits. Moi aussi, je venais d’accoucher. Et je vis, revis ma maternité au travers du Chat. Deux histoires liquides, qui se tissent, se trament, se mêlent.
Alors, se met peu à peu en place, une relation étrange, extraordinaire, surnaturelle, entre Paul, le bébé, et le Chat. Ils communiquent entre eux, d’une façon propre à la vie, d’une façon que je ne peux saisir, moi, avec mes pauvres mots. « Alors, je calai Paul entre ses cuisses potelées, tout près du Chat. Frères tous deux du même Printemps, les voilà à dix centimètres l’un de l’autre. Le Chat parut comprendre mon geste et me fixa de ses yeux verts, un demi-sourire aux lèvres.
Contre toute attente, Paul orienta les mains vers autre chose, l’extrémité de son corps, c’est-à-dire ses chaussettes blanches. Ces dernières, il ne les aimait guère, elles lui cachaient ses pieds. Il faut dire qu’ils étaient particulièrement beaux et roses comme des berlingots. Mais, pour en profiter, il ne fallait pas de chaussettes, surtout pas de chaussettes. Alors il les ôta ou plutôt les arracha, tirant sur leur extrémité comme il le faisait avec les brins d’herbe. Puis les jeta à la tête du Chat. À la façon noble du félin, il sut accueillir en offrande les minuscules tissus atterrissant sur sa tête.
Paul fit pivoter le pied gauche, puis le droit en poussant de petites bulles de salive extasiées. Ce qui devait arriver, arriva… La plante du pied massa, plutôt laboura, le flanc droit du Chat. La fente des pupilles devint lame. Il ressembla à un reptile prêt à jaillir. À peine le temps d’apercevoir un éclair rose du palais, le Chat mordait prestement le talon de Paul.
L’œil de Paul resta étonnamment bleu. Il ne parut pas réagir, geignit une seconde, guère plus. Il ne pleura pas ou plutôt ne fit pas le lien entre son objet d’adoration et la morsure. Pourtant, sur son pied, étaient inscrites nettement les dents du Chat, sans que le sang ne perlât.
Je me sentais terriblement coupable. Je tendis les mains vers Paul et… trop tard. Il avait décidé de se servir de sa tête comme d’un bouclier affectueux donnant un grand coup dans le ventre blanc. Le Chat se mit alors sur le dos, dévoilant une aisselle blanche, une dangereuse patte en l’air. Enfin, il mordilla la main de Paul, puis se recoucha dans l’herbe ronronnant un « Je commence à en avoir un peu assez. » Paul aurait dû pleurer, il grognait seulement. Il n’était pas conscient d’avoir été mordu par celui qu’il désirait tant. En cela, il était aussi innocent et bombé que les pétales tombés du magnolia. »
Paul et le Chat a reçu le prix Fernand Méry, de l’Académie Vétérinaire.
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